Мурашкіна Л.В.
La délicatesse
La première rencontre
Quand un homme vient voir une
inconnue, c’est pour lui dire de jolies choses. Existe-t-il, ce kamikaze
masculin qui arrêterait une femme pour asséner : « Comment
faites-vous pour porter ces chaussures ? Vos orteils sont comme dans un
goulag. C’est une honte, vous êtes la Staline de vos pieds ! » Qui
pourrait dire ça ? Certainement pas François, sagement rangé du côté des
compliments. Il tenta de définir la chose la moins définissable qui soit :
le trouble. Pourquoi l’avait-il arrêtée elle ? Il s’agissait surtout de sa
démarche. Il avait senti quelque chose de nouveau, de presque enfantine, comme
une rhapsodie des rotules. Il émanait d’elle une sorte de naturel émouvant, une
grâce dans le mouvement, et il pensa : elle est exactement le genre de
femme avec qui je voudrais partir en week-end à Genève. Alors il prit son
courage à deux mains – et il aurait même aimé en avoir quatre à cet instant.
Surtout que pour lui, c’était vraiment pour la premère fois. Ici et maintenant,
sur ce trottoir, ils se rencontraient. Une entrée en matière absolument
classique, qui détermine souvent le début des choses qui le sont moins, par la
suite.
Il avait balbitué les premiers mots,
et subitement tout était venu, d’une manière limpide. Ses paroles avaient été
propulsées par cette énergie un peu pathétique, mais si touchante, du
désespoir. C’est bien la magie de nos paradoxes : la situation était
tellement inconfortable qu’il s’en sortait avec élégance. Au bout de trente
secondes, il parvient même à la faire sourire. C’était une brèche dans
l’anonymat. Elle accepta de prendre un café etil comprit qu’elle n’était pas du
tout préssée.
..... Il lui demanda ce qu’elle
voulait boire. Son choix serait déterminant. Il pensa : si elle commande
un déca, je me lève, et je m’en vais. On n’avait pas le droit de boire un déca
à ce genre de rendez-vous. C’est la boisson la moins conviviale qui soit. Un
thé, ce n’est guère mieux. A peine rencontrés et déjà un peu mou. On sent qu’on va passer les
dimanches après-midi à regarder la télévision. Ou pire : chez les
beaux-parents. Oui, le thé c’est inconstablement une ambiance de belle-famille.
Alors quoi ? De l’alcool ? Non, ce n’est pas bien à cette heure-ci.
On pourrait avoir peur d’une femme qui se met à boire comme ça, d’un coup. Même
un verre de vin rouge ne passerait pas. François continuait d’attendre qu’elle
choisisse ce qu’elle allait boire, et il poursuivait ainsi son analyse liquide
de la première impression féminine. Que restait-il maintenant ? Le
Coca-Cola, ou tout autre type de soda... non, pas possible, cela ne faisait pas
du tout femme. Autant demander une paille aussi, tant qu’ elle y était.
Finalement, il se dit qu’un jus, ça serait bien. Oui, un jus, c’est
sympathique. C’est convivial et pas trop agressif. On sent la fille douce et
équilibrée. Mais quel jus ? Mieux vaut esquiver les grands
classiques : évitons la pomme ou l’orange, trop vu. Il faut être un tout
petit peu original, sans être toutefois excentrique. La papaye ou la goyave, ça
fait peur. Non, le mieux, c’est de choisir un entre-deux, comme l’abricot.
Voilà, c’est ça. Le jus d’abricot, c’est parfait. Si elle choisit ça, je
l’épouse, pensa François. A cet instant précis, Nathalie releva la tête de la
carte, comme si elle revenait d’une longue réflexion. La même réflexion que
venait de mener l’inconnu face à elle.
« Je vais prendre un
jus...
-
... ?
-
Un jus d’abricot, je crois. »
Il la regarda comme si elle était
une effraction de la réalité.
( David Foenkinos. La délicatesse.Gallimard, 2009.,p. 12-15.)
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